L’annonce en revient
à Kav Laoved, ONG israélienne
de défense des travailleurs
migrants, qui depuis des années
se bat pour qu’il en soit ainsi.
Cette décision sera-t-elle suivie
d’effet ? « Si le ministre tient ses
promesses, ce sera la première
fois depuis le début des années
1980 que les autorités
israéliennes feront appliquer la
législation sur salaire minimum
pour les Palestiniens employés
en Cisjordanie par des
Israéliens », assurait il y a peu
Amira Hass dans un article paru
dans le quotidien Ha’aretz.
Rencontre avec Mahmoud Amer,
le secrétaire du syndicat PGFTU
de Qalqilia, ville dont, avant le
début de l’Intifada, la moitié de la
population active travaillait
encore en Israël ou dans les
colonies avoisinantes.
PLP : Quelle est encore la situation de
des travailleurs dans les colonies ?
Mahmoud Amer : Extrêmement précaire
dans la mesure où leurs droits n’ont
jamais été reconnus. Mais avant toute
chose, cette précision. Avant 2000,
8 000 personnes travaillaient en Israël,
un tiers légalement, les deux tiers illégalement.
Aujourd’hui, le nombre de ceux
qui disposent d’un permis de travail n’est
plus que de 600. Et si travail illégal il y a
encore, ceux qui s’y risquent sont de
moins en moins nombreux. Qalqiliya est
aujourd’hui une ville emmurée de laquelle
il est devenu bien difficile de sortir... 70%
de la population active ici est maintenant
coincée, donc au chômage. Ceci dit,
quelle était, quelle est encore la situation
des travailleurs palestiniens migrants ?
Même lorsqu’ils étaient dotés d’un permis
de travail, ils n’ont jamais disposé
des mêmes droits que ceux reconnus à
leurs collègues israéliens. La méthode
employée par les employeurs pour
contourner le code du travail a toujours
été la même : ne déclarer qu’une partie
de leur temps de travail, dix jours au lieu
de vingt par exemple, pour échapper aux
obligations légales en matière de congés
payés, d’allocation maladie, d’accident
du travail, ou de primes de vacances ou
d’allocations retraite. Les travailleurs percevaient
leurs salaires mais sans que
leur soient reconnus les droits afférents.
PLP : Quel recours aviez-vous, avez-vous
encore ?
M. A. : Une action en Justice, avec
toutes les difficultés que cela signifie.
Pour ester en justice en Israël, un travailleur
palestinien n’a pas le droit de
prendre un avocat palestinien ; il ne peut
prendre qu’un avocat israélien. Or, sans
aide et sans soutien, comment peut-il le
trouver ? Comment peut-il éviter de se
faire abuser ? Ce n’est pas tout : il doit
déposer au préalable une caution, payer
les frais d’ouverture de dossier, obtenir
un permis pour se rendre devant la Cour,
un permis qu’il n’obtient pas toujours ou
souvent au dernier moment. Il doit aussi
s’attacher les services d’un interprète. Une
véritable course d’obstacles... C’est pour
cela que nous avons décidé, en 1996,
de travailler avec Kav Laoved, une ONG
israélienne de défense des droits des
travailleurs migrants, qui assure le suivi
et la défense de nos dossiers. Nous
aurions aimé pouvoir agir avec la Histadrout,
le syndicat israélien, avec qui
un accord avait été signé, prévoyant son
soutien dans la défense des salariés
palestiniens employés en Israël. Mais il
n’a jamais été suivi d’effet... Notre choix
n’a pas toujours été ici très bien compris.
Certains admettent mal que, dans le
contexte politique actuel, nous travaillons
avec des Israéliens. Mais Kav Laoved
peut nous aider, affirme la nécessité
d’un Etat palestinien, nous soutient dans
la lutte que nous menons pour nos droits
sociaux et politiques, pourquoi refuserions nous
de travailler avec cette association ?
PLP : La défense coûte chère. De quelle
façon les travailleurs palestiniens peuvent-
ils financer des actions en justice ?
En ont-ils tout simplement les moyens ?
M. A. : C’est bien sûr un problème. Et
nous-mêmes avons besoin d’argent pour
mener des procès. Comme Kav Laoved,
nous leur demandons 50 shekels
de participation aux frais. Par ailleurs,
nous nous sommes accordés avec cette
association pour que leurs avocats ne se
payent qu’à l’issue du procès : 17% des
fonds qui seront accordés par la Cour.
PLP : Combien de dossiers traitez-vous
par an ?
M. A. : Avant le début de l’Intifada,
toutes catégories de travailleurs confondues - travailleurs légaux et illégaux en
Israël, travailleurs des colonies-, nous traitions
jusqu’à 400 dossiers par an. Si, l’an
dernier, nous n’en avons eu qu’une certaine
à traiter, c’est que la situation de
l’emploi est devenue catastrophique.
Mais j’aimerais ajouter ceci : notre action
ne s’arrête pas là. Pour aider les travailleurs
à défendre leurs droits, nous
développons aussi de sérieux efforts en
matière de formation et d’éducation. Avant que le bouclage de la ville empêche chacun
d’entre nous de se déplacer aisément,
nous rendions visite aux travailleurs
à leur domicile ; nous organisions aussi,
ici, au siège du syndicat, deux réunions
par mois pour les sensibiliser à leurs
droits, leur apprendre à garder précieusement
tous les documents susceptibles
de prouver la réalité de leur temps de
travail. Aujourd’hui, les choses sont plus
difficiles, mais nous n’abandonnons pas.
D’autant plus que l’expérience nous
montre à quel point elle participe au renforcement
du syndicat. Lorsque nous les
aidons, les travailleurs nous font confiance.
D’autres branches de la PGFTU, d’ailleurs,
font appel à nous aujourd’hui pour les
aider à monter des dossiers.
PLP : Qu’en est-il de la situation faite
aux travailleurs dits illégaux et à ceux
des colonies ? Et que faites-vous dans
ce domaine ?
M. A. : Les premiers n’ont aucun droit,
uniquement celui de se taire. Inutile donc
de s’appesantir sur les difficultés qui sont
les leurs si ce n’est pour dire que, à eux
aussi, nous apprenons à garder toutes
les preuves de leur emploi, tous les
moyens qui leur permettraient, par
exemple, de faire valoir leurs droits
lorsqu’ils sont victimes d’un accident du
travail. Les travailleurs des colonies
s’affrontent, eux, à des difficultés très
particulières : celles d’être employés
dans des zones de non droit. Que sont
les colonies ? De quel droit les travailleurs
qui y sont employés relèvent-ils : du droit
israélien ou du droit palestinien ? Parce
que nous considérons qu’il s’agit là de territoires
palestiniens, nous demandons
l’application du droit palestinien, quand
bien même celui-ci est moins favorable,
notamment sur la question salariale
puisque n’existe pas de salaire minimum
dans le code du travail palestinien.
PLP : Compliqué, non ?
M. A. : Effectivement, la chose est compliquée
mais il nous faut choisir. Et, quoi
qu’il en soit, les employeurs israéliens,
eux, ne s’embarrassent pas de ce type
de problèmes : dans ces zones, ils appliquent
en général le droit
jordanien, celui qui était
en vigueur avant
1967, il y a près de
quarante ans,
avant qu’Israël
n’occupe la
Cisjordanie et
la bande de
Gaza. Et ce,
bien sûr, sauf
quand leurs intérêts
les amènent à
préférer une autre législation.
Exemple : la loi israélienne
accorde un mois de salaire
d’indemnité par année d’ancienneté pour
un salarié licencié. La loi jordanienne,
un mois de salaire pendant les trois premières
années, puis un demi mois avec
un maximum de neuf mois de salaire
d’indemnité. C’est donc cette dernière
qui s’applique dans les colonies, quand
les travailleurs parviennent à faire respecter
une règle. Autre exemple, inverse cette
fois : le droit jordanien considère le vendredi
comme un jour chômé et rémunéré,
pas le droit israélien. C’est donc le
droit israélien cette fois qui prévaut. Et ainsi
de suite.
PLP : Le ministère du Travail israélien
n’a-t-il jamais tenté de combler ce vide
juridique ?
M. A. : Pas à ma connaissance. En
1982, si ma mémoire est bonne, au début
des années 1980 en tout cas, le coordinateur
militaire israélien pour les territoires
palestiniens avait demandé que
tous les travailleurs employés dans les
colonies puissent bénéficier des dispositions
en vigueur en Israël. Sans doute
y manquait-on de bras à l’époque, beaucoup
de travailleurs préférant aller se
faire embaucher à Tel Aviv, Netanyia ou
Jérusalem plutôt que d’aller travailler
dans ces zones industrielles que nous
avons toujours considérées comme illégales.
Jamais cette demande n’a été
appliquée. Et aujourd’hui, à Qalqiliya,
3 000 travailleurs de la ville sont employés
dans ces entreprises dont personne ne
sait très bien de quel code du travail elles
relèvent, s’affrontant à des difficultés très
concrètes en
matière de temps
de travail, de rémunération
ou de conditions de licenciements.
Nous suivons le dossier
de travailleurs qui, en 2002, se sont
tous faits licencier pour avoir réclamé
l’application du salaire minimum israélien
: 3 350 shekels par mois pour huit
heures de travail hebdomadaire. L’affaire
traîne depuis deux ans devant la Cour
israélienne. A bout de forces, quarante
d’entre eux ont repris le travail aux conditions
fixées par l’employeur : 1 500 shekels
pour dix heures de travail par semaine.
Mais les autres continuent de se battre.
Et nous les soutenons.
PLP : La presse fait écho régulièrement
de la création de zones franches à la frontière
du Mur, à Qalqiliya notamment. Comment
voyez-vous les choses ? Ne craignez-
vous pas que les travailleurs
palestiniens soient contraints d’accepter
n’importe quelle condition de travail, tout
simplement pour pouvoir travailler ?
M. A. : Effectivement, avant le début de
l’Intifada, on parlait de la création d’une
zone franche en bordure de Qalqiliya.
Depuis, ce projet n’est plus d’actualité.
Sans doute, c’est vrai, avons-nous à
craindre les conditions de travail qui peuvent
être celles de ce type d’endroits.
Mais peut être pouvons-nous espérer
aussi que la situation s’améliore. Dans
l’immédiat, ce que je crains le plus, c’est
le développement de compagnies privées
qui, chargées du recrutement des
personnels palestiniens, les taxeraient
au passage pour pouvoir obtenir un
emploi.
Propos recueillis par
Martine Hassoun